Retranscription de Chrystèle Mollon
Quand on est arrivés du Sri Lanka, avec mon père on écoutait, presque chaque jour, du "baïla" qui est comme la lambada mais je crois que ça c'est une danse... Le "baïla" c'est un rythme sri lankais, un truc populaire. On écoutait toujours des trucs comme ça, quoi !
Mon go�t pour la musique, je crois qu'il a commencé quand j'étais toute petite au Sri Lanka, quand mon père m'a dit "il faut que tu apprennes ces chansons parce que tu vas les chanter avec ta soeur" dans une grande fête sri lankaise qui était juste en face de notre maison. Et en fait il ne nous a jamais emmenées chanter mais on avait appris les chansons. C'était terrible, j'étais complètement consciente que ça allait être une grande chose, qu'il fallait que j'apprenne toutes les paroles et tout ça. Je me souviens de ça. On était assises sur le lit et il avait pris sa guitare et il disait "faut que tu apprennes parce que vous allez chanter". On y était allées l'année d'avant, et ça me paraissait tellement énorme, tu sais quand tu es petit, tout le monde est en train de chanter comme ça. J'avais le trac à cet âge-là. Petite normalement tu ne l'as pas, je crois pas... comme à l'école des fans, ils ne l'ont pas vraiment. Et j'apprenais vraiment consciencieusement, c'est le premier truc dont je me souviens, j'étais consciente de la musique, quoi !
La guitare c'est le seul instrument qui était là. Au Sri Lanka, ce qu'on avait, c'était les percussions évidemment, dont tout le monde jouait, il y avait la danse qui était toujours là, la danse sri lankaise parce qu'on dit dans les temples et tout ça. Et ça me fait penser à mon père qui jouait toujours de la guitare, toujours une seule chanson, "Besame mucho", qu'il chantait en sri lankais et en anglais et son frère à lui qui jouait de la fl�te. C'est les seules choses que je connaissais. Mais on écoutait toujours la radio, jeme souviens toujours quand j'étais petite j'écoutais tout le temps la radio sri lankaise, avec les tubes sri lankais, je me souviens même de ces tubes-là ! C'est pour ça, je pense maintenant, j'étais tellement petite quand même pour avoir été si consciente de ce jour, le jour où mon père m'a dit "il faut que tu apprennes parce que tu vas aller chanter avec ta soeur sur un grand stade". Et là je me souviens d'avoir vraiment travaillé pour pouvoir... d'avoir appris les paroles quoi et tout ça, je lisais même les paroles dans un livre déjà... Tout le monde aime la musique par là-bas.
Voilà ça a commencé là et après, en arrivant en Angleterre, mon père voulait qu'on ait chacun un instrument, donc on a eu les maracas, le yukelélé, une guitare, une guitare trois cordes, une petite guitare comme ça, mon frère il a eu son horn [cor] tout de suite je crois l'autre il a eu un tambourin et tout ça, et voilà, on a commencé comme ça. Et après tout le monde, une fois qu'ils avaient commencé l'école primaire, tout le monde était obligé d'apprendre le violon, toutes les filles de toute façon. Il voulait que ça soit un look, que sa famille soit musicale. Moi j'ai toujours voulu apprendre le piano ou la guitare, la vraie, pas le yukélélé, pas le petit truc en plastique, ce truc de bébé, là. Non il a voulu que ce soit le violon, s�rement la mode était dans les autres familles que les... c'est un truc comme ça.
J'avais besoin de jouer avec quelqu'un, toujours, c'est comme chanter aussi, j'avais besoin de jouer les harmonies à c&eocirc;té des "gibbs" (?) qu'elle [ma soeur] lisait comme ça et je lisais la deuxième ligne, il n'y en avait pas mais je lisais les trucs dans ma tête, je faisais les harmonies.
C'est comme ça qu'ont commencé les harmonies entre nous; c'est moi qui dans la famille ai commencé à chanter en harmonie la première. Après ça, on n'a pas pu s'arrêter, et quand on m'emmenait au cours de musique, je trouvais ce cours tellement chiant ! Affreux, on n'a jamais joué, on ne chantait pas, on écoutait les autres chanter, ceux qui avaient les voix "opératiques", qui lisaient la musique tout droit et tout ça. Et comme j'adorais jouer de la guitare, mon professeur a dit "il faut passer un examen, il faut atteindre le sixième niveau pour pouvoir avoir déjà une partie de l'examen". Et moi qui avais juste appris toute seule à lire la musique et tout ça, jamais pris un prof, j'avais acheté les partitions qu'il fallait et tout ça, j'ai appris à les jouer juste comme ça, sans que personne m'ait appris comment il fallait les jouer, je vais dans le truc et déjà quand j'arrive à l'examen, ils m'ont donné un petit truc pour mettre mon pied comme les guitares classiques, je savais pas comment faire, donc je me sentais obligée de faire comme ça.
Comme ça j'étais déjà complètement mal à l'aise, et le vieux monsieur qui dit là "vas-y, joue, et puis j'écoute", et j'ai joué en tremblant, et j'ai raté mes notes, et, après il faut que tu joues quelque chose à vue, alors j'ai joué quand même, et après il m'a presque virée de la chambre : "elle est pas... amenez moi le prochain !".
Comme je savais plus quoi faire, évidemment j'avais raté ces examens de fin d'école, qui étaient vachement important, je suis partie en France, pour apprendre le français ou apprendre... n'importe quoi, je me suis dit "il faut que je parte !" Parce que la musique était toujours là, mais tu te rends pas compte qu'elle est là... La radio est toujours allumée, les gens sont toujours en train de chanter, on apprend à chanter d'autres chansons sans jamais s'en rendre compte, on dit pas "tiens, on va apprendre ça", c'est bien comme ça. Et à l'école, aussi, quand on chantait, c'était la seule chose que j'aimais. Mais j'ai toujours adoré ça, et après... la musique était toujours là, je ne peux pas dire qu'un jour je suis arrivée, et que j'ai entendu de la musique et que je me suis sentie bizarre, non... parce que c'est entré dans la peau comme tout. C'est que la musique elle a une carte qui va partout, quoi, elle passe partout !
J'ai jamais remarqué, j'avais envie d'apprendre tous les styles, tout m'attirait, tous les instruments, tout m'attirait. Déjà, le son des violons du Sri Lanka n'était pas le même son que celui des violons que tu trouves ici, le son saturé et tout ça. Ils passaient tout à la radio en plus en Angleterre, beaucoup moins que maintenant peut-être j'ai l'impression...
En plus, à la télévision aussi, la musique passait, et j'aimais écouter, j'aimais voir, c'était gai, aussi, c'était autre chose et puis c'était toujours le rythme, c'était sympa. Moi ça m'a toujours [plu] de voir quelqu'un chanter. Moi, je sais que j'avais tendance par exemple à prendre une chanson et la rendre mienne. Quand certaines phrases ne me correspondaient pas, je changeais les phrases pour que ça me corresponde. Comme la musique d'église, j'aimais bien des fois les mélodies qui étaient là, mais la façon dont c'était chanté j'aimais pas, tu sais le truc strict, froid, j'aimais pas ça. Alors je prenais la mélodie, je changeais les harmonies de guitare derrière. Tu mets déjà plein de choeurs à des endroits différents, ça donne déjà une autre couleur, et j'adorais ça, rendre ça pour moi, j'aimais bien être, comme tu dis, un médecin de la musique des fois, quand je voyais des choses pour moi qui étaient un peu fades, et pour moi la musique ne doit jamais être fade. Tu peux rendre tout intéressant, et tout peut devenir une partie de toi.
C'est s�r que si j'étais toujours au Sri Lanka, je n'y serais pas restée trop longtemps parce que j'aurais soif d'entendre d'autres sons je crois que c'était un truc de sons. Mais il faut dire aussi que tout ce qu'on faisait c'était par le biais de l'église mais on était un groupe : c'est-à-dire qu'il y avait mes deux soeurs, moi, et ma meilleure copine. On était un groupe ! Et on tournait comme ça quand il y avait un concert à donner ou quelque chose, il y avait plein de gens des églises mais on tournait vachement, enfin pas vraiment tourner mais... on jouait assez souvent. On jouait les mêmes 3-4 chansons et c'était toujours nous qui gagnions, parce qu'on avait de belles harmonies.
ça j'adorais, prendre la chanson et la rendre plus belle, c'est-à-dire sortir des trucs que peut-être les gens n'entendaient pas... les changements d'accords, des fois les gens passent à c&eocirc;té, ou ils font jamais ces changements d'accords. Alors je voulais qu'il y ait des petites notes qui montrent combien de choses il y avait dans cette mélodie. J'aimais bien sortir les trucs des mélodies que peut-être les gens n'entendaient pas. Alors ce sont les harmonies et tout ça, aux endroits voulus, qui font que ça ressort encore plus, les trucs auxquels tu ne t'attends pas. Pas les évidences, les choses moins...
On était vachement commerciale comme famille, et c'est les premières choses que tu prends de la société : quand tu arrives d'un autre pays, tu vas pas chercher dans les undergrounds, tu prends d'abord les premières vagues qui sont là, tu es enfoncé là-dedans, ensuite tu vas chercher plus profond, quand tu as bien absorbé ça. ça a été comme ça quand je suis arrivée en France, ça m'énervait d'ailleurs, j'entendais jamais vraiment des chansons en français. Les seules choses qui existaient depuis toujours, c'étaient les Brel et les Piaf.
Arrivée en France, c'était toujours de l'anglais que j'entendais, et ça m'énervait un peu. Mais en même temps, j'avais découvert vraiment le c&eocirc;té jazz, et c'était sympa.
Le c&eocirc;té classique c'est venu en regardant la télévision. J'avais toujours été sensible aux musiques qui allaient derrière les images, tu sais, on en utilise plein en Angleterre ! Les gens, normalement, regardent l'image sans jamais se rendre compte qu'il y a de la musique derrière. Mais moi j'ai toujours... déjà arrivée en Angleterre, quand tu as une télévision, tu regardes et tu entends la musique parce que c'est le seul langage que tu connais. Tu peux pas comprendre ce qu'ils disent mais tu entends la musique alors tu es tout de suite sensibilisée à ça. Et vraiment tu écoutes.
C'est tout, j'ai commencé comme ça, et après quand il y avait de la musique, je pouvais entendre un thème une fois, et ça me quittait pas, il fallait que je sache qui c'est qui l'avait fait, j'allais dans les salles de musique de mon école et je demandais est-ce que tu sais qui c'est... C'était juste une partie de sa musique que je voulais entendre, c'est comme les chansons des fois, ils écrivent plein de chansons, mais il y a juste une chanson, la façon dont elle est interprétée, que j'aime. C'était comme ça dans la musique classique, il y avait une partie de ça [que j'aimais], alors je cherchais ça, et ce qui fait que tu écoutes tout le disque. Après il y avait des disques chez moi, comme ça, que j'ai découverts, de Polynésie, de la musique polynésienne que j'adorais !
Trois, quatre fois j'avais fait le métro comme ça pour rigoler, pas plus que ça... avec des étudiants qui étaient en haut dans les chambres de bonnes. Mais je ramassais que des vingt centimes, et je les collais avec du scotch, comme ça pour faire des rouleaux... On a commencé le métro en même temps que les restaurants chinois.
Je suis descendue dans le métro, parce qu'il y avait des amis autour de moi qui faisaient ça, et je commencais à chanter dans le métro devant un public. Je chantais toute seule, sans mes frères et soeurs, et un jour il y avait un saxophoniste qui s'appelle Philippe Delettrez, qui m'a vue... c'était le seul en qui j'ai eu confiance, j'ai eu comme un flash, et on a commencé à travailler ensemble, avec sa musique et mes paroles, mes textes. On avait fait une petite maquette, et à partir de cette maquette qu'on avait faite de deux chansons comme ça vite fait, on a fait circuler un peu partout parmi les amis qu'il connaissait... Parmi eux il y avait Herpin, Pépin, je sais plus comment ça se dit, qui a dit "Jean-Jacques justement il cherche une voix pour un duo qu'il a eu depuis longtemps. Tu devrais proposer".
Alors, on a écrit une lettre, Philippe et moi, envoyé une cassette, et une photo, parce qu'il voulait pas une fille très très belle, il voulait une mocheté [rires], et ça a marché, il voulait ça ! Et il y a eu des rencontres avant pour être s�r, pas juste pour la voix, mais pour la personne aussi je crois.
Maintenant il faut faire un disque tu cherches, tu avances, voilà tu avances petit à petit c'est une question de survie pour moi.